Alléluia
mes frères ! O Sana, ô Sana et en route pour la joie ! Un sympathique père
Noël savoyard vient de me balancer par la cheminée les derniers opus de
San-Antonio qui font que je devrais avoir exploré (enfin !) l’intégrale
des 175 aventures du célèbre commissaire plus de trente ans après les avoir
entamées ! Mais surtout big up à toi mon Fredo comme jactent les mômes !
En juin prochain, ça f’ra quinze piges que l’plus turbulent de nos z'auteurs
populaires a mis les adjas. Qu'y s'est carapaté pour le paradis des scribouillards
de haut vol où il a sûrement retrouvé ses chers potes Boudard et Simonin entre
autres joyeux drilles de la pensée sournoise sur parchemin. Ah, mon Fredo, si
tu savais comme tu me manques ! Des gars de ta trempe, ça n’devrait pas avoir
l'droit de casser sa pipe. Et pis d'abord, t'as demandé la permission à qui,
hein ? Mézigue, en tout cas, j’ne te l'aurais pas donnée ! Nul n'est
irremplaçable, qu'y bavent les parvenus du clavier branchouille ou du stylo en
berne. Foutaises ! Décrété et reconnu d’utilité publique le Tonio,
ouais ! Enfin, la seule, l’unique preuve, c'est que tu n'as pas été
remplacé ! Aveugle lectrice, bigleux lecteur, si qu’vous voyez passer un
nouveau génie des Lettres Francaouises, mettez-moi au jus, sortez le klaxon
trois tons en acier chromé que j'partage l'allégresse collective, que
j’alleluiaïse sur l’autel de la page blanche immaculée, qu’j’grimpe au rideau
de fer de ma cellule d’isolement ! Mais non… J'ai beau scruter serein (ne
vois-tu rien venir ?) l'horizon littéraire, m'écarquiller les châsses la pogne
en visière, j'en vois pas lerche qui méritent l'attention et à peine deux
trois, même avec les échasses publicitaires qu’on leur octroie, qui
t'arriveraient à la cheville, mon Fredo.
« Non
mais dis donc, le flibustier d’eau douce et d’âpre whisky, tu pousses pas le
bouchon un peu loin là ? Y t’reste pas un zeste de raison clapotant entre deux
icebergs de dinguerie ? me rétorqueront les chétifs du bulbe et les
encombrés de la rate. Ton Frédéric Dard, il avait un brin de plume, certes,
mais raison gardons ! Ses books à deux balles, c'est quand même pas le Petit Prince
de l’autre Toine de Saint Ex' ou l’Marcel Proust (prout !) issus de la Pléiade dorée sur
tranche ! » Ben non, c'est pas. Mais c'est drôlement chouette quand même,
les affreux ! Ah, ce fade que je prends quand je ligote ça ! Moi, ouvrir
un San-Antonio, c'est ma friandise préférée... Ma p'tite gourmandise...
Mieux qu’un Mon Chéri ou un Rocher de l’ambassadeur de mes belles deux ! Juste
ce que je m'envoie entre deux portes, entre deux lectures dites
"sérieuses", en loucedé, pour me dévergonder les neurones. Me
dérouiller les zygos. M'évader de la couennerie ambiante. Polar ou pas, quelle
importance, Hortense ! Dès que je plonge là-dedans, j’ai le palpitant qui
bat la breloque, le tocsin qui sonne l’Angelus sous ma soutane en bronze, tant sa
prose pétille mieux que du Ruinart en caisse de six. Ah ce qu'elle
cul-cul-la-praline la prose du romancier lambda à côté de celle, si délurée et
si constamment créative, de l'ami Dard. Avec lui, c'est fête à chaque phrase !
Calembours en cascade ! Métaphores à volonté ! Feu d’artifice ou
d’artifesses ! Des big bioutifoules dont j’te dis qu’ça !
Quoi
l'histoire ne tient pas debout ? Mais on s'en tamponne le dargif du scénar,
Balthazar ! Laisse ça aux trépanés du thriller à poils durs qui veulent à
tout prix que Bill s’emmanche bien sur Boquet. Pis c'qu'il y a de bath chez le berjallien,
c'est d'abord sa verve, sa gouaille, sa virtuosité argotique. La godille de la
jactance. L’art du planter de bâton (de Berger comme disait la môme France
Gall). Cette façon qu'il a d'interpeller son lecteur à tout propos, de le
tutoyer, de le rudoyer, de lui balancer de temps à autre, en force ou à la
sauce Panenka, un bon péno dans les joyeuses pour l’sortir de ses certitudes de
pacotille, de ses avis définitifs de bazar, au baltringue de service. Ce don
scribouillard qui fait, qu'au bout de trois lignes, tu te crois au troquet du
coin, accoudé au zinc à esgourder un pote facétieux qui te bonnit la dernière
entre deux caouas matinaux.
Et
pis allez, avouons-le, un des grands charmes de ces aventures, c'est bien d'y
retrouver le gars Béru, non ? Ah, le natif de Saint-Locdu-Le-Vieux...
Que serait Sherlock sans Watson ? Laurel sans Hardy ? Tintin sans Haddock
? Black sans Decker ? Ben ici, c’est du kif. Que serait San-Antonio sans
l'Enflure, le Gravos, le Mastar, le plus célèbre interprète des Matelassiers,
hein, je vous le demande ? Moi, je t'aime, Béru. T’es crasseux, vulgaire,
inculte, goinfre, soûlard, pétomane, j'en passe et des moins bonnes, toujours
entre un calendos suintant et un kil de rouge tire-bouchonné, ton éternel bitos
vissé sur le crâne, c'est peu dire que tu possèdes un parler rustique mais il
s'en dégage, paradoxalement, une sorte de poésie inexplicable, loufoque,
monstrueuse. Béru, c'est le gars sans tabou, sans complexe, qui fait ce qu'il
veut, quand il veut, où il veut sans se soucier des manières, de la bienséance,
du qu'en-dira-t-on. C'est le zig libéré des convenances, des usages, du
savoir-vivre ordinaire. Il nous venge, par procuration, de toutes ces petites
choses qu'on s'interdit de faire ou de dire quotidiennement en société, pour ne
pas choquer son prochain. Bérurier, lui, se lâche tous azimuts, sans malice, en
toute candeur, la bonhomie chevillée au corps et à l'âme (çon tordu pour
pêcher, c’est le pied). Ce qui, bien sûr, ne l'empêche pas d'être aussi un
poultok de première bourre qui vous la souhaite bien bonne, si j'ose dire…
Y a mille raisons d'aimer tel ou tel auteur.
Moi, j'aime San-Antonio parce qu'il me met de bonne humeur, tout simplement. Il
me réconcilie avec la vie quand j'ai le moral en cale sèche ou la viande qui
récalcitre. Elles ne sont pas seulement drôles, bien fichues et jactées cinq
étoiles, ses petites aventures truculo-trouducuto-policières. On y trouve
aussi, mine de rien, une forme de philosophie pratique, un chemin buissonnier
d'insouciance, de dérision, d'autodérision. Qui te rend plus humble, moins con,
alors que t’avoueras, c’était mal barré, lecteur. Qui te remet en perspective
les petites mouscailles de l'existence, les menues misères du quotidien.
San-Antonio, c'est l'art de ne rien prendre au sérieux. De rigoler de tout. Sur
et avec n’importe qui. La grande partouze de l'humour libre. De savourer la vie
côté gaudriole. Dans cette époque de panade et coincée de la pensarde, quoi de
plus indiqué ? Merci pour tout, Fredo. Et à toi aussi, lectrice ou lecteur
anonyme ou non, à qui j'ai emprunté la substantifique moelle de ce
scribouillage. La quintessence en jerricans de cinq litres. Espérant ainsi avoir
entretenu la flamme du liseur (de Dard) inconnu. Je vous laisse, les aminches… J’ai
l’estomac dans les talons, la tortore est prête et la blanquette de veau m’attend.
Ma Félicie aussi. Que 2015 soit synonyme pour vous autres de (re)découverte de ces
175 petits coups de canif de deux cents et quelques pages dans la morosité de
vos vies.