mercredi 21 novembre 2012

Des tirs sur poteaux sans conséquence

Les copains d’enfance, une belle bande d’enfoirés ouais. Lecteur de peu de cœur mais paradoxalement cardiaque, veuille bien accepter mes excuses pour cette entame quelque peu abrupte toutefois il est urgent de régler mes comptes avec ces olibrius devenus mes complices au fil des années. Ce foutu temps passant à la vitesse d’un doigt de présidentiable dans le fondement d’un électeur lambda, je préfère que justice soit faite maintenant à l’encontre de ces vieilles canailles quarantenaires car bientôt se pointeront les fameux duettistes Parkinson & Alzheimer qui ne me consentiront plus à taper d’un index vengeur ce scribouillage sur écran tactile multi pouces. Et encore moins de le dicter à d’éventuelles arrières progénitures ayant préalablement planqué mon faux râtelier pour se payer ma trogne.  

Alors, vas-tu me demander, toi qui es sans ami puisque tu n’as rien d’autre à foutre que de lire ces lignes, que reprocher à ces zigotos ? Et bien une seule chose mais de taille. Alors que je blanchis sous le harnais, eux demeurent poivre et… poivre, les diables ! Même pas un léger dégarni de la calebasse sur lequel je puisse passer mes nerfs ou mon papier de verre grain P12 afin de le voir briller en société au moins une fois dans sa vie. Cette simple observation capillaire me fait hélas conclure qu’ils vieillissent mieux que moi, les bougres. Plus d’un quart de siècle pour se rendre à cette cruelle évidence alors que nous menons de concert notre radeau sous l’œil médusé des jaloux de tous bords. 
Et pourtant. Tout avait bien débuté. Une jeunesse partagée entre les parties de foot et un goût avéré pour la musique classique de feu Bashung, Noir Désir, j’en passe et des moins bons. Les études morcelant nos journées, certains optant pour un illustre diplôme scientifique tandis que je m’orientais vers un modeste baccalauréat de cas social même pas économique. Les virées nocturnes comme échappatoire commun. Libération à coups de libations.
Afin de dévoiler crânement au monde cette amitié sans faille, nous nous lançâmes également dans l'aventure radiophonique avec une émission répondant au doux patronyme printanier de « Des plumes et du goudron » mêlant rythmes bien huilés et humour grinçant. Je peux maintenant l'affirmer sans peur du ridicule : ce fût la première et dernière fois en France que chaque semaine, la totalité des auditeurs étaient réunis dans le studio même de l'émission. Puis vinrent les années Fac'. Licence (IV) option Œnologie. Les uns occupés à multiplier les débits de boisson, les autres se chargeant du crédit auprès de la gent féminine. Nos crampons toujours affûtés même si l’espoir de voir débarquer des émissaires madrilènes ou milanais commençait à s'estomper. 
Par la suite, et à l’instar du commun des mortels, la vie se chargera de nous prouver l’étendue de sa palette. Joies des mariages et naissances, larmes lors des deuils familiaux et larmes de joies considérant l’adage à la con qu’une gonzesse de perdue, c’est dix copains qui r’viennent.

Et nous voilà de nouveau réunis sur mon écran ce jour. A l'aube de la deuxième mi-temps de nos existences trépidantes. J’étais parti pour vous tailler un costard XXL, mes lascars. J’ai lamentablement échoué. «Qu'un ami véritable est une douce chose» écrivait La Fontaine. Alors les aminches, je vais juste vous remercier de m'avoir fait connaître ce sentiment. Par écrit. Pudeur toute masculine. Ben oui persifleuse lectrice, imagines-tu un seul instant Lino Ventura sortir au vieux Gabin un roucoulant « Je t’aime, mon poteau ! » ?

vendredi 16 novembre 2012

Un long fleuve (pas si) tranquille


Dix minutes. Déjà dix longues minutes que Léo Marchioni patientait à la terrasse du Caf’ des Fac’ devant une Guinness plus opaque que les Ray Ban qu’il portait. Du premier coup d’œil, il reconnut l’homme avec qui il avait rencard. Le quidam arborait une démarche conforme à l’annonce que Marchioni avait passée dans le Progrès : «Rech. H, quarantaine, présentant forte claudication pour figuration film TV, bonne rém. »
- Bonjour. Je suis la personne avec qui vous avez rendez-vous, se présenta Léo en tendant la main au passage du boiteux.
- Enchanté. Paul Rouvard, répondit l’homme en se déhanchant pour prendre une chaise à une table voisine vide de tout client.
Marchioni passa commande auprès du loufiat et fixa le postulant :
- Vous voudrez bien m’excuser mais j’ai oublié lors de mon appel, de requérir votre profession. Ce n’est pas indiscret ?
- Pas du tout. J’ai trimé pendant quinze balais comme mécano sur les locomotives aux ateliers de la Saulaie à Oullins. Un accident stupide m’a laissé sur le carreau avec une guibole raide comme la justice. Comme je vous l’ai dit, j’épluche régulièrement la rubrique emploi des canards pour mettre du beurre dans les épinards. Votre petite annonce est une véritable aubaine.
Le garçon revint avec un demi sans faux col et s’esquiva après que Léo eut réglé les consommations pour ne plus être interrompu.
- Je vais tenter d’être bref, dit Marchioni, je vous ai berné au téléphone l’autre soir. Je ne bosse pas pour le petit écran. Je sors de taule et je suis sur un coup. Vous ne savez pas mon nom et cela ne vous servirait à rien. La seule chose qui doit vous préoccuper est de savoir si vous voulez gagner sans risque trois mille euros en une demi-heure de temps. Maintenant, vous me dites banco et je vous expose de quoi il retourne ou l’on se quitte après que vous ayez sifflé votre pression. Alors ?
Devant le visage déterminé de son interlocuteur, Rouvard hésita un laps de temps infime. Le deal proposé par le malfaiteur caché derrière ses lunettes noires lui inspirait, sans savoir pourquoi, davantage de confiance que de crainte.
- Vous ne le regretterez pas, répondit Léo au hochement de tête confirmant l’accord de l’ex-cheminot. Ecoutez bien la marche à suivre car vous n’aurez aucun écrit à votre disposition. L’ancien taulard extirpa de la poche intérieure de sa veste en cuir une enveloppe kraft et la posa devant lui.
-Vous trouverez à l’intérieur mille euros d’acompte et une clef de contact. Votre job sera d’amener une voiture d’un point à un autre et basta! Le véhicule est une BMW noir métallisé qui sera stationnée quai Claude Bernard, sur le parking en face des Facultés. En partant d’ici, vous pourrez faire un repérage, c’est à six cent mètres avant le pont de l’Université. Demain matin, à six heures précises, vous prendrez le volant du coupé sport et vous vous rendrez à l’adresse programmée dans le GPS. Pas d’excès de vitesse ni de prise de risques et tout devrait bien se passer. Vous avez vingt à vingt cinq minutes de route en fonction de la circulation. Vous ne quittez pas le centre ville donc aucun souci pour rentrer chez vous. Les deux mille euros restants seront déposés sous quinze jours dans votre boîte aux lettres à l’adresse que vous m’avez fournie lors de notre prise de rendez-vous. Dernier point: pas d’entourloupe possible, je sais où vous trouver s’il vous prenait l’idée de reculer au dernier moment. Des questions ?
L’apprenti gangster fit à haute voix un rapide récapitulatif des instructions. Tout était correctement consigné dans sa mémoire. Son unique point d’interrogation portait sur le propriétaire du véhicule qui aurait pu le surprendre. Marchioni dissipa ses doutes:
- Personne dans le secteur ne connaît le possesseur de la Béhème. Ce gars est parti pour un long séjour à l’ombre, si vous me suivez...
Afin de conforter l’ancien mécano, Léo l’éclaircit succinctement sur la manière dont il s’était procuré un double de la clef par un garagiste peu scrupuleux chargé de la révision du bolide teuton.
Tout étant calé pour le lendemain, Rouvard s’éclipsa après avoir serré la main du malfrat confirmé. Ce dernier alluma une blonde, patienta quelques instants, s’extirpa de sa chaise et tourna brusquement à l’angle du bar pour s’engouffrer dans la rue Jaboulay.

Le lendemain…

«Bonjour, il est huit heures, vous êtes bien sur RTC. Les informations de notre antenne lyonnaise. Une violente explosion s’est produite tôt ce matin sur les quais du Rhône aux abords de la Faculté Lyon II. Un riverain qui promenait son chien sur le bas port a légèrement été blessé. Le témoin a indiqué, aux pompiers rendus sur place, avoir aperçu un homme, boitant fortement, en train de monter à bord d’une BMW noire. Quelques secondes plus tard, une forte déflagration a eu lieu, causant la destruction totale du véhicule et par la même le décès du chauffeur.
Après les premières investigations, les enquêteurs songent à un règlement de comptes entre voyous. Le conducteur du modèle sport de la célèbre marque allemande pourrait être Léo Marchioni, bien connu des services judiciaires, impliqué et condamné dans le fameux braquage de la Société Générale d’Annecy en mai 1998 dont le butin n’a jamais été retrouvé. Marchioni, grande figure du banditisme lyonnais, était surnommé «la Rotule» par ses ex codétenus suite à une balle reçue dans le genou  lors de la fusillade précédant son interpellation par les forces de l’ordre.»

Nonchalamment, le batelier coupa sa radio. Bien loin de s’imaginer que le passager solitaire qui arpentait le pont de la Camargue en claudiquant, venait de s’offrir la liberté. Derrière les Ray Ban fouettées par de maigres embruns, le truand laissait ses pensées vagabonder au gré des reflets scintillants du Rhône. Désormais, son destin allait se muer en un long fleuve tranquille.

jeudi 8 novembre 2012

De profundis piratibus

La Toussaint s’achève. Et je suis mort. De rire. Devant tous ces bouquets, plantes en pots et autres couronnes mortuaires déposés sur les stèles la larme à l’œil et la goutte au groin par des âmes sensibles ou allergiques aux pollens tardifs. Que veux-tu lecteur endeuillé, et pas seulement du bocal, je ricane. Bien calée entre les journées du patrimoine et la sortie du beaujolais nouveau, la visite annuelle du caveau familial chaque début de novembre figure en bonne place dans ton agenda. Des fois que les multiples foires aux vins automnales te fassent négliger une éventuelle mise en bière agrémentée d’un dépôt de gerbe en bonne et due forme.

Bien sûr, il n’est pas rare d’apercevoir des quidams, catholiques de peu de foi (car une seule fois par an), se rendant dans nos cimetières le premier du même mois, alors que la commémoration des défunts n’a lieu que le lendemain. Pas prêts de connaître les joies ineffables de la béatification, les mécréants. Ne pas confondre. Le premier novembre est le jour dédié aux élus sanctifiés par la maison mère. Exemples : Sankt Pauli et son fidèle Jolly Roger ou  Saint Patrick célébré sous forme de bock, de pinte, etc,... Sérieux, n’est-ce pas formidable ? Ouarf, ouarf. Sourire goguenard de comptoir, les voies de la canonisation demeurent impénétrables à l’agnostique qui sommeille en moi. Je préfère m’adonner au v(a)in plaisir du canon descendu en moins de temps qu’il n’en faut à la grenouille de bénitier pour croasser sa prière vespérale.

Attention. Loin de moi l’idée, lecteur baptisé au champagne, c’est toujours ça de pris, de me gausser de tes pieux égards envers le Très Haut. Je me refuse à faire partie du lot des intégristes de tout poil, adorateurs ou pourfendeurs de croyances. Tu connais mon individualisme ? Dis moi qui tu suis, je te dirai qui je hais. Chacun son parachute, et rendez-vous au tas de sable. Cible de tout atterrissage final jusqu’à preuve du contraire. Parce que pour ce qui est de s’élever vers les cieux éternels, à part postuler comme homme canon ou perchiste sur vitaminé, j'ai des doutes.

Alors que je me recueillais sur un banc d’église lors du décès d’un mien aïeul et que j’en profitais pour exhorter le Barbu de me rendre Léo Ferré en échange de David Guetta, ma cadette qui n’en rate pas une, m’apostropha en ces termes : « Et toi, Papa, tu veux être incinéré ou enterré ? ». Ni l’un, ni l’autre. T’as rien d’autre en vitrine ? C’est ça le choix ultime ? Becqueté par des asticots nécrophiles ou lyophilisé dans un micro-ondes estampillé Borniol ? Non ? Bon. Vous déciderez sans moi. Vote à main levée ou billet dans l’urne. Funéraire.

vendredi 2 novembre 2012

N'enfoncez pas l'clown !



Les caravanes sont de retour dans ma ville. Le chapiteau fièrement dressé comme le drap de dessus d’un octogénaire hospitalisé pour surdose de viagra absorbé. Le charme désuet des rangées de bancs inconfortables autour de la piste ensablée. Mes princesses ne me demandent jamais de les emmener au cirque. Je leur fais toujours la surprise. Viendra le jour où elles feindront de croire que c’est le froid voire une conjonctivite passagère qui humidifie les yeux de leur paternel quand je les observe en douce applaudir aux exploits des trapézistes et autres jongleurs dans le halo des projecteurs. 

Que veux-tu, lecteur sans cœur, le plus beau métier du monde, c’est Clown. Parfaitement, avec un « C » majuscule. Parce que ce terme est devenu tellement péjoratif voire insultant dans ta bouche. Pauvre idiot. Je te botterais volontiers le derrière à l’aide de mon 86 fillette. Et puis non. Une simple giclée de flotte dans ton œil bovin issue de la grosse marguerite (pas la vache, la fleur,  espèce de con génital) qui orne mon revers de veston multicolore. 

Les augustes me poursuivent depuis tout môme. Ou je leur cours après. Va savoir. La panoplie et le nez rouge, comme premier paravent de ma timidité de jeune bambin. Puis l’assurance provocatrice et rebelle des clowns électriques de feu OTH ou du joyeux merdier des Béru. Enfin, l’âge aidant, l’humour grinçant comme politesse du désespoir. « Il faut se méfier des clowns, ils disent parfois des choses pour rigoler ». Bien jeté, Guy Bedos lors d’un passage au… cirque d’Hiver.

Le bon clown est facilement reconnaissable. Un travail d'orfèvre remis chaque jour sur le métier. Une palette gestuelle aérienne. Noureev revisité par Chaplin. Rien de plus difficile que de jouer la gaucherie adroitement. Le clin d'œil complice qui laisse place à la grosse larme roulant dans la sciure. Un éventail de sons émis qui se veut sobre. Pas du rire forcé, bien gras. Non, de l’élégant, du subtil, du sous entendu. Mais riche en couleurs. Bouquet final de feu d’artifice. Virez moi ces mièvres pastels. Et la prise de risques à chaque représentation. En cela, le clown rejoint son cousin acrobate. Roulement de tambour, perché sur le fil de l'humour, sans filet, du vide au bide, seule la première lettre diffère. Tout un art, je te dis. 

Gloire soit rendue également à celui qui trimbale sa dégaine burlesque et hirsute dans les couloirs lugubres d’hôpitaux pour mômes. Des éclats de rire comme un instant de répit dans la souffrance du quotidien. La plus belle des récompenses. 

Enfin, fidèle abonné à mes scribouillages, t’auras remarqué malgré tes lunettes noires, ta canne blanche et ton labrador beige, que je viens d'évoquer un peuple par nature nomade. La route, encore et toujours. Omniprésente dans mes billets. Pour un prétendu pirate, descendre de Bison Futé, ça jure, non ? Va falloir que je consulte... Tu dis ? Une carte routière ? Ne joue pas au  plus fin, lecteur, Monsieur Loyal vient de te choisir dans le public. En piste.