Températures
sibériennes. Et cette foutue bise qui s’engouffre de partout. Sale impression
d’être affublé en hockeyeur au guidon de ma bécane. Marre de jouer à
l’hibernatus motardus. Les mordus de deux roues savent. L’obligation de faire
tourner de temps à autre le moulin pour ne pas se retrouver en carafe de
batterie aux beaux jours. Je balaie d’un doigt ganté le givre sur la visière du
casque. Des fois que je raterais le come back des hirondelles. Avec ce ciel si
bas qu’un motard s’est perdu, avec ce ciel si bas qu’il fait l’humidité… Hum,
pardon. Je traverse au pas l’avenue principale de mon patelin. Pas âme qui vive
sur les trottoirs. Calfeutrés dans leur chaumière, loin de ce biker dingue
voire con gelé qui pétarade au feu, pressé de retrouver lui aussi, son home,
sweet home aux vues des cumulonimbus menaçants. L’affolement des premières neiges.
Comme un singe en hiver. Mais personne pour me reconduire dans ma forêt. Isolé
dans la jungle urbaine. Et si je faisais une halte dans la gargote asiatique du
bout de ma rue. Les gastronomes parlent de maison de passe et les vicelards de
restaurant chinois. Rien qu’une heure. Sachant que je connais déjà la fin de
l’histoire. Une heure seulement mais une heure durant, être beau, beau, beau et
con à la fois.
M’accouder au comptoir
et retrouver le matelot Esnault. Vérifier si ce dernier a fini sur la paille
pour cause de non remboursement de la connerie par les assurances sociales.
Puis le grand Jacques. Toujours fidèle à son public
de vieux chinois et d’éléphants roses, à qui il fredonne sans cesse sa chanson à lui, sa ritournelle
morose, celle du temps où il se faisait appeler Jacky. Et enfin, aller tirer le couple
Quentin de sa torpeur et du lit conjugal. Suzanne Flon et le Vieux, l’archétype
du bonheur rangé dans une armoire. Faire
revivre, non, plutôt réhabiliter le toréador désenchanté. Gabriel Fouquet est
immortel. Le demi siècle écoulé n’a pas de prise sur lui. Alors nous
repeindrons le zinc aux couleurs du Yang Tsé Kiang. « Installer le
printemps dans ce pays de merde ! » beuglera-t-on en chœur avec
Albert. En route. Levons le camp pour l’Andalousie. Ou la
Chine. Peu importe. La paella avec
coquillages ou les jonques chargées d’opium, de vrais pédés, de fausses
vierges. Mais toujours le même véhicule. Celui des Grands Ducs chers à Audiard.
Des Princes de la
Cuite. Juste oublier quelques
instants les pignoufs, les
boit-sans-soif et leurs putasseries. Les laisser à cent mille verres. Se
prendre pour Dieu le Père, celui
qui est dans l'annuaire, entre "Dieulefit" et "Dieu vous
garde". Tutoyer les anges.
Abandonner les lecteurs moralisateurs me reprochant une prétendue apologie de
l’éthylisme. Nous connaissons. Qui a bu boira. Faut reconnaître que l’on a le
proverbe contre nous. Néanmoins, bande d’aquaphiles, si quelque chose venait
vraiment à manquer, ce ne serait pas le vin mais l’ivresse.
Par la suite, il sera
bien temps de s’esbigner en douceur. Nous sortirons sur la banquise. Feu
d’artifice improvisé sur la place du village, à défaut de plage normande. Deux
pingouins m’observeront, hilares.
- Por favor Señorita,
à quelle heure le train pour Madrid ? bafouillerais-je avant de m’éloigner
d’un pas mal assuré.
La petite Marie
Fouquet, bien emmitouflée, questionnera son jeune paternel :
- Dis P’pa, tu y crois
à ses histoires de singe en hiver ?
- Je pense qu’il en a
vu au moins un.