lundi 20 janvier 2014

Cannibale Lecteur

La nuit vient de tomber. Je le sais car la lumière tamisée de la lampe de bureau vient remplacer le peu de jour qui filtrait jusqu’alors par les interstices des volets vermoulus. Il est là. Avachi dans son fauteuil en cuir. Le regard fixe et hagard du junkie en manque. A nous scruter, les copains et moi. Sur lequel d’entre nous va-t-il jeter son dévolu ? Epancher sa soif de lecture ? Appétit d’ogre pour des mots couchés sur le papier. Boulimique de tournures alambiquées ou élémentaires. Jamais repu. Il vient de terminer un petit Caryl Ferey. Opuscule bien frêle. Une sorte de jumeau. Car ne possédant comme moi qu’une trentaine de feuillets. Simple mise en bouche avant de gloutonner sauvagement le prochain qui lui tombera entre les mains. Il a dû apprécier, car ce dernier ne va pas rejoindre le coin où s’entassent pêle-mêle les préposés au départ. Notre fameux camp de rétention. Un comble pour un livre d’être traité comme un sans papier. Le permis de séjour dans ce bureau peut aller d’une courte escale de deux jours à la détention à vie. Ainsi moi qui vous cause, j’ai la chance de faire partie des meubles. Mes atouts ? Un contenu enrichissant (ma beauté intérieure), un format chéquier portefeuille et une tranche fière qui vieillit sans trop jaunir. Contrairement à mes confrères de la Série Noire, par exemple. La couverture en papier glacé fatigue sans pour autant craqueler. Je cauchemarde parfois à l’évocation de ces horribles rides qui rejoindraient ma maigre épine dorsale où règne mon patronyme de parution dans une police rouge et noire microscopique. Faut dire qu’il prend soin de nous. Jamais de pages cornées. Une règle.
Je suis bien descendu plusieurs fois de mon perchoir, la peur au ventre de déménager sous d’autres cieux, mais j’ai toujours réintégré mon étagère. Je dois toujours lui plaire. Nous sommes de vieux amants. Je sais qu’une multitude de maîtresses pourraient prétendre au même grade que moi. Je fais partie d’une famille nombreuse dont le patriarche scribouillard est Pierre Desproges. La tribu s’est agrandie au fil des années. Même mes cousines, des biographies plus ou moins exhaustives, sont toujours présentes. Nous avons notre emplacement réservé. Pas trop ensoleillé, éloigné de toute humidité synonyme de mort certaine pour ma fratrie. Nous vivons en bon voisinage, écrit dessus écrit dessous entre Dard Frédéric et Djian Philippe.
Et puis, il y a les autres. Ceux qui patientent en préventive. Certains arrivés depuis des lustres. Achats compulsifs. Parce qu’une chouette présentation, un format bien maniable, une quatrième de couverture alléchante, un coup de cœur offert par un autre vampire lexical de ses connaissances, ou que sais-je encore… Et de traîner là. Dans l’attente. Le couloir de la mort avec pour perspective l’acquittement (adoubement, devrais-je peut-être écrire) ou le départ vers d’autres latitudes. Bien que d’après quelques réchappés revenus par erreur, notre sort serait enviable. Jamais de déchèterie, autrement dit « la fosse commune » dans notre jargon. Un recyclage d’occasion en librairie ou sur un étal de bouquiniste, il y a pire, non ? Nous avons aussi les « pistonnés ». Une classification à part. Pas forcément irrésistibles mais dédicacés, les diables. Je les hais. Avec leur paraphe d’auteur comme une légion d’honneur couchée sur les premières pages, les décorés nous narguent. Le précieux sésame garantissant de finir ses jours dans cet antre bibliophile. Une concession à perpétuité en somme. Ou bien la maison de retraite chez un autre anthropophage, généralement proche conseil et ami de notre cher pagivore. Jalousie et rancune. A une poignée de métastases près, j’aurais pu être des leurs. Enfin. Je suis toujours là. Mais jusqu’à quand ? De méchants extra terrestres ont débarqué : les e-books. Notre espèce serait-elle menacée ? En voie d’extinction ? L’ordinateur trône sur le bureau. Ambiance digne du Silence des Agneaux. C’est lui qui m’a laissé entendre que nous ne craignions rien. «Pour l’instant...» a-t’il ajouté, narquois. Dois-je arborer une confiance aveugle en la fidélité de mon Cannibale Lecteur ? Je reste sceptique. Comme l’indique mon titre. Au final, « la seule certitude que j’ai, c’est d’être dans le doute ».       

mercredi 1 janvier 2014

Observons une année de silence...

« Et toi, l’Pirate, qu’est-ce qu’on te souhaite ? ». La paix. Mieux, le silence. Parce que je sature. Tes plaintes lecteur, tes chouineries lectrice. J’en ai ras le bandana. Mon souhait ? De vous coller au mur avec vos lamentations. Une bastos pour chacun. Vérifier si Polnareff et son paradis jouent à guichets ouverts. Pour l’enfer, je m’en charge. Avec vos trognes déconfites, j’ai déjà un avant goût. Et que ça se répand à longueur d’année, que ça ne va pas, y’a qu’à, faut qu’on. Jamais contents. De perpétuels grincements de craie dans les esgourdes. A s’en perforer les tympans comme papa Beethoven. Alors un peu de silence, s’il vous plaît. Et même si ça ne vous plaît pas. Fermez une bonne fois pour toutes vos clapets, les donneurs de leçons et mégères meuglant à qui mieux mieux ! Bien sûr, je sais : les maladies, les fins de mois difficiles, et tout le bataclan. Vous croyez qu’aboyer devant votre petite lucarne, avec vos aïeux et vos chiares, va vraiment changer les choses. Tout ce petit monde à se morfondre sur son piteux sort depuis des générations. Mais tellement heureux de baigner dans son jus finalement. Nostalgie de l’esclave. Pas tant envie de refaire le monde que ça au final. On verra plus tard pour la grande évasion. Parce qu’on ne sait pas. Si c’est pire, imagine. Prendre des risques ? Au grand jamais ! Plutôt crever dans son cholestérol ! Laissez-nous dans notre belle société de consommation. Nous voulons être des propriétaires. Même de miettes tombées du banquet des seigneurs. Des saigneurs. L’ambition citoyenne comme leur palier d’immeuble. Toujours envier celui du dessus, jalouser le voisin, faire chier celui du dessous. Vive la ripaille à coups de tickets resto, de savants cocktails d’antidépresseurs solubles dans l’alcool. C’est la criiiiise finale, pleurons tous, etc. Refrain connu. Internationale de la soumission. Surtout que rien ne change. 2014, 2015, 2050, 2100. Des pauvres, des riches. L’équilibre de plus en plus bancal. Pas grave. La norme. Aux urnes, les conformistes.

Me serais-je levé de mauvais poil en ce jour de l’an neuf ? Même pas. Vous me rendez juste fou. Mais va savoir qui est le plus dingue. Toi lecteur dépourvu de lucidité mais surtout pas de biens matériels ? Toi lectrice au grand cœur qui donne aux Restos en prévision de ton licenciement ? Donner. Encore et toujours. Votre kit de bonne conscience. Pour le calendrier des pompiers des fois que ta plaque  de cuisson en vitro céramique te pète à la gueule. Si seulement. Donner pour l’almanach des Postes bien que depuis l’avènement d’internet, les dernières bafouilles potentielles que tu reçois sont les vœux tarifés d’EDF, Veolia ou du Ministère des Finances. Note que je n’appelle pas au grand soir. A la Révolution avec un grand R. Je conchie les luttes de classes. Les communautés. Je ne veux rien posséder en commun avec qui que ce soit. Parce que souvent vous me faîtes tartir. Déjà bien obligé de vous supporter. Partageons juste un moment amical de temps à autre. Basta. Puis je m’en retournerai à mon mutisme. Parce que, comme l’a si bien scribouillé l’antraïgain à bacchantes, « je ne suis qu'un cri. Sans fil à la patte. Encore moins issu d'une écurie. Pas diplomate, je n'ai ni drapeau ni patrie, je ne suis pas rouge écarlate ni bleu ni blanc ni cramoisi. Je suis d'abord un cri pirate, de ces cris-là qu'on interdit. Je ne suis pas cri de plaisance ni gueulante de comédie, le cri qu'on pousse en apparence pour épater la compagnie. Moi si j'ai rompu le silence, c'est pour éviter l'asphyxie. Oui je suis un cri de défense, un cri qu'on pousse à la folie. Alors pardonnez si je vous dérange, je voudrais être un autre bruit. Etre le cri de la mésange, n'être qu'un simple gazouillis. Tomber comme un flocon de neige, être le doux bruit de la pluie. Mais je suis un cri qu'on abrège, je suis la détresse infiniiiiiiie».

« C'est pas bientôt fini avec tes conneries ? » Oui, lecteur. Bises, lectrice. T’aurais pas vu mon flingue et mes boules Quiès ? Maintenant, silence. Enfin.