mardi 26 mars 2013

Requiem pour un bouvreuil


Veilleur solitaire, je vis en cage. Avec cet homme à peine perceptible pour vos yeux au début de notre histoire, mais finalement repéré au panache de fumée exhalé de sa Gitane. Allongé sur son lit, dans une morne et grisâtre mansarde. Cette pièce est ascétique, presque carcérale, et dont je suis le seul signe d’humanité (un peu comme les chats d’un autre lieu et d’un autre homme, le commissaire Matteï).  Mon patron est une personne quasiment invisible, comme son « métier » exige qu’il le soit. Avec calme et rigueur, il enfile son trench-coat et se coiffe méticuleusement de son feutre, le lissage des bords dudit chapeau comme une signature indélébile. Tandis que son regard bleu acier affronte l’image élégante et glaciale que le miroir renvoie. L’ambiance requise par M (comme Maestro), est celle d’un hiératisme silencieux et captivant. Un OVNI du polar si l’on se réfère aux autres films de la même époque, agités et tonitruants. Durant quinze minutes, l’homme va et vient, sans jamais s’exprimer, presque comme une ombre. Du presque jamais vu et encore moins entendu. Ce particularisme qui sera la griffe de M (comme Majestueux). Jusqu’à l’apothéose des vingt sept minutes aphones du casse de la place Vendôme dans cet autre fameux « Cercle Rouge ». Les dialogues sont rares mais ils ont la précision chirurgicale des actes de mon tueur de patron, et un rythme d’une justesse implacable : «  Je ne parle jamais à un homme qui tient une arme dans la main. C’est une règle ? Une habitude. » Rien à rajouter.

Les deux fenêtres au dessus de ma geôle spartiate me laissent entrevoir les rues avoisinantes, grises et désertes. Loin de la lumière réparatrice du jour. Débouchant de sombres couloirs de gares désaffectées, j’imagine des passerelles métalliques, ensoleillées comme des no man’s land où retentiraient les coups de feu d’une rupture de contrat inopinée. Je troquerais volontiers l’atmosphère glauque crachée par l’enseigne lumineuse intermittente de l’hôtel miteux d’en face contre le corridor blanc immaculé menant aux appartements de cet ange noir, la jolie pianiste croisée par mon maître qui le mènera à sa perte. L’éclat artificiel et aveuglant des néons des couloirs du métro parisien avec l’ambiance feutrée des salles de boîtes de jazz scintillantes. Comme dans « L’armée des ombres », le climat baigne dans des éclairages alternant clair et obscur. Si bien que l’on hésite toujours un laps de temps conséquent avant de répondre si ces films sont issus de l’époque couleur ou noir et blanc. Mon long métrage est auréolé d’une lumière gris-bleu tamisée, froide comme un changement de plaques minéralogiques dans un lugubre garage de banlieue à cette heure bien précise, vous savez, celle que l’on baptise entre-chien-et-loup. Juste avant les ténèbres des rues éteintes. Cette obscurité propice aux ombres clandestines tueuses de patron de club, la même noirceur favorable aux adultères éthérés qui se convertissent en alibi béton.

L’homme se sert de mes pépiements affolés comme d’une alarme face au danger représenté par d’éventuels visiteurs. Un pacte muet nous scelle. Je m’enorgueillis du titre de seul être vivant qui parvient à rendre attachant ce personnage de tueur à gages mystérieux, silencieux, d’une élégance sobre. On raconte qu’une nuit, M (comme Magnifique) a eu la vision de cet homme allongé sur son lit avec votre serviteur à ses côtés. Chacun dans une cage à sa mesure. Et qu’en a découlé le chef d’œuvre dans lequel je figure pour l’éternité. Sachez enfin, que le tournage se déroula dans les studios Jenner si chers à M (pour Melville), en 1967, des studios ravagés par un incendie et dans lequel je fus la seule victime. Les décors durent être reconstruits en toute hâte pour finir le film. Avec un sang froid que n'aurait pas renié Jeff Costello. La main qui m’a nourri. Lui aussi succombera à la fin. Allant au bout de sa mission. Le chasseur devenu proie. Une forme de suicide gagnant. Car il vous avait prévenu. « Je ne perds jamais. Jamais vraiment ». 

mardi 19 mars 2013

Tonino Benacquista, le noir lui va si bien.


Aujourd’hui charmante lectrice, aimable lecteur, merci de poser tes rames quelques instants, car je vois bien que tu t’échines en vain à sortir de l’enlisement irrémédiable des sables mouvants de ton existence morose et monotone. Embarque plutôt sur ma galère, dans mon arche il y a de la place pour tous les marmots. Hommage discret à un porté disparu dans un océan jaune anisé bondé d’icebergs miniatures mais dont la plume vengeresse me manque cruellement. Mais revenons à nos petites vagues crêtées d’écume baptisées également moutons d’après le Petit Larousse, à moins que ce soit son cousin le gros Robert. Donc, tu es mon hôte. Mais pas sur le pont du galion chargé de foutus courants d’air juste bons à te choper un rhume de cerveau, encore que… non rien. Installe-toi confortablement, bien calé au chaud dans ma spacieuse cabine, le pirate offre le voyage.

Exceptées ces brillantes chroniques affichées semaine après semaine sur ton écran plus très plat car gonflé de saisissement devant tant de panache scribouillard, nous ne nous connaissons pas mais tu apprendras que je ne me déplace que rarement sans un polar dans la poche ou le vide poche selon que j’ère en moto, voiture, train ou canoë biplace (tais-toi et pagaye, je lis!). Le moindre temps mort, hop, je dégaine prestement mon roman policier faisant passer Josh Randall ou Lucky Luke pour de vieilles gâchettes arthritiques. C’est plus fort que moi. Je suis atteint du « syndrome de la bouquinite ». Cancer de moins en moins répandu à la grande joie des chirurgiens de l’audiovisuel pour lobotomisés que sont Direct 8 ou NRJ 12, mais maladie incurable dont le symptôme dominant est de vouloir grappiller à tout prix quelques minutes voire quelques heures sur mon temps de sommeil ou de reproduction quotidien. Bref.


Je souhaitais donc te causer d’un auteur que j’apprécie depuis deux décennies, toujours tapi dans l’ombre et dont il me paraît opportun de mettre le talent en lumière. Bien sûr que ce n’est pas cette petite page perdue sur le net qui va lui faire une publicité monstre mais je compte sur tes talents de tapeur de texto nippon (version réactualisée de notre ancien téléphone arabe). Sans compter que citer un tel écrivain pourrait te valoir quelque reconnaissance auprès de la gent féminine ou masculine dans quelques mois. Du bouche à oreille au bouche à bouche, il n’y a jamais qu’une joue à survoler, tu sais. En conséquence, lis le et parles en autour de toi. J’ai toujours un faible pour ces prétendus seconds couteaux du cinéma que sont les scénaristes. Ces hommes de l’ombre, forçats de la littérature noire. Sans eux, pas de synopsis en béton, ni de mise en valeur des premiers rôles. Le plumitif en question se nomme Tonino Benacquista. Ce patronyme ne te dit rien ? Pourtant, tu as déjà vu défiler des adaptations de ses œuvres. « La boîte noire », « Les morsures de l’aube » sont des thrillers issus de son imagination fertile. Car le diable sévit dans différents domaines. Bande dessinée, théâtre, nouvelles, romans, cinéma. Proche de Jacques Audiard (qui est la preuve vivante que le talent peut être héréditaire contrairement à la descendance Signoret), Benacquista a également co-écrit avec ce dernier les scénarii de « Sur mes lèvres » et « De battre mon cœur s’est arrêté ». Au passage, œuvres césarisées, même si ce n’est pas toujours un gage de valeur.

Mais dernier trimestre 2013, l’injustice flagrante devrait s’estomper et la gloire frapper à sa porte avec l’adaptation éponyme d’un de ses meilleurs romans, « Malavita ». Tourné par Luc Besson. Ca ne te suffit pas, lecteur ? Alors devraient figurer au générique : Robert de Niro, Tommy Lee Jones et Michelle Pfeiffer. Alors, on la ramène moins, lectrice ! En attendant, procure-toi « Quelqu’un d’autre » pour faire plus ample connaissance avec Tonino Benacquista. Tu m’en diras des nouvelles. Avant de poursuivre avec les siennes, truculentes et finement ciselées. Bonne lecture !

mardi 12 mars 2013

Je suis un étranger

Je suis un étranger. Partout où je passe. Apatride volontaire. Mais je n’oublie pas mes racines. Ce socle précieux qui t'aide à grandir. A un moment donné, il faut savoir s’en détacher. La main calleuse du patriarche qui t’accompagnait lors de tes premiers pas vient se poser sur ton épaule d’homme du clan. Comme un passage de témoin. Larguez les amarres.

Je suis un étranger. Partout où je passe. Je suis un indigène de l’enfer de vos villes. Plutôt de vos bidonvilles. Un matin aux aurores, j’ai quitté ce triste miroir aux funestes alouettes sans me retourner. Pour une maison mobile. Une caravane sur l’eau. Pas de chant de sirène mais un simple rafiot toujours pointé vers l’horizon. Joli vocable que l’horizon. Cette idée d’infini à portée de voile. Prendre la mer. Je sais déjà que c’est elle qui finira un jour par me prendre. Qu’elle soit d’huile ou déchaînée, mon embarcation trace en ses flancs ce sillon d’écume. Vers l’inconnu. Vers l’aventure. Vers chez moi.


Je suis un étranger. Partout où je passe. Même si je viens à ta rencontre. Tu me vois souvent comme un naufragé de nulle part, un échoué en transit. « Parce que vous pouvez pas rester là, M’sieur ! ». Un vaurien parasite de ton système. Mais le mien est tout autre. Je n’ai qu’une parole. A l’instar de ce que tes pairs appelaient les voyous d’antan. Je garde cela précieusement. Héritage des miens. Le sens noble de la parole donnée s’est noyé dans tes prétendues ères de communication. Je suis fier de ma route. Chemin parfois de traverse, j’en conviens. Mais je ne réclame pas ta pitié. Ni ne souhaite te faire peur. Et tu ne m’impressionnes pas. Avec tes grands airs de propriétaire terrien. Je viens pour le partage. Pas de biens, tu te doutes. Le cœur et l’amitié comme uniques trésors. Un peu de chaleur humaine dans la froideur de nos existences.


Je suis un étranger. Partout où je passe. Mes vêtements trempés sèchent au coin du brasero. Des flammes sur le quai d’un port de fortune. Qui embrasent le ciel. Bien mieux que n’importe quel phare au bout de la jetée. Mémoire de ces feux qui dansent jusqu’au bout de la nuit et dans lesquels j’aperçois, certains soirs, crépiter les éclats de rire de ce môme. Et les larmes perlant sur les joues de celle qui pensait me retenir. Silence empreint de pudeur. Car je n’ai rien vu. Comme bien souvent. Le regard franc, jamais de biais. Ce que l’on m’a transmis. L’Honneur de l’Homme debout. Mais la fierté, cet orgueil mal placé quand on évoque les sentiments amoureux, procure parfois de vilaines œillères.


Je suis un étranger. Partout où je passe. Je n’ai que faire de tes frontières. Quand saisiras-tu que ce découpage virtuel cautionne l’idée d’appartenance donc par corrélation, d’exclusion ? Mon pays est l’univers. Je suis sans papiers, sans domicile fixe, sans droit de vote, mais mon statut est gravé au fronton de tes écoles et de tes mairies. Je suis libre, ton égal, à jamais en quête de fraternité. Salut à toi, ô mon frère.

mardi 5 mars 2013

Quand l'actualité fait plouf !

L’actualité présente n’est guère source d’inspiration. Il ne se passe rien d’enthousiasmant. Pas lerche à se mettre sous la dent. Hormis Stewball en barquette de six. Et si l’on y regarde de plus près, quoi de plus banal comme représailles que de vouloir te faire aller à la selle, pardon, que de vouloir te faire chier. La revanche du salarié Findus après trente piges d’échec au PMU. Va pondre un billet d’anthologie avec ça. Lecteur, tu n’imagines pas mon dur labeur de blogueur à suer sang et eau whisky au dessus de mon clavier afin d’en extraire la quintessence de l’humour nécessaire pour survivre dans ce monde hostile. Pistorius qui flingue sa charmante copine ? Tout a été dit. Deux catégories de lecteurs. Ceux à qui les bras en tombent et les autres à qui ça fait une belle jambe. Benoît Huit-fois-deux-le-compte-est-bon-merci-Bertrand qui se carapate vers son éden terrestre en attendant le paradis céleste ? Déjà scribouillé par votre serviteur. Et remettre une couche sur le pontife, au propre comme au figuré, j’appelle ça de l’incontinence. Pas de quoi faire vraiment tinter l’angélus sous la soutane de bronze des cardinaux lubriques. Restent les guerres. Le Mali, la Syrie, l’UMP,… Cependant, dès que tu n’es pas concerné, tu as du mal à suivre. On désigne cela par le principe de la mort kilométrique. La dépêche du simple quidam assassiné dans ton bled te parlera toujours plus que les milliers de civils exécutés à cinq mille bornes de chez toi. Réflexe humain, paraît-il. Loin des yeux, loin du cœur. « Proverbe à la con » soupirent Amadou et Mariam, le couple non voyant de chanteurs maliens. J’aurais tant aimé qu’ils fussent ivoiriens. Mais m’aurais-tu pardonné cette espiègle saillie, fidèle lectrice à triple foyer mais mono neurone ? Que la Vénus de Milo me jette la première pierre.

J’ai beau scruter les soporifiques journaux télévisés, les insipides unes de la presse écrite, les insignifiantes pages d’accueil du web, rien n’y fait. L’actualité avance sans joie. Imperturbable. Flegme environnant ou flemme ambiante ? Le journalisme d’investigation s’efface devant les tabloïds remplis d’informations bidonnées. Le règne du vite écrit, du vite lu. Mode Twitter. Et des sondages plus loufoques les uns que les autres. La récidive est-elle excusable en cas de détournement de fonds publics, d’avion ou de mineurs ? Si la cigarette électronique est la véritable solution pour le fumeur néophyte, à quand la greffe de e-poumons sur le cancéreux en phase terminale ? Sachant que votre patron va bénéficier d’un parachute bien rutilant, souhaiterez-vous une immolation bien dorée devant le pôle emploi de votre choix ? Connaissez-vous la recette du « gallinacé blues » à base de poulet de banlieue délicatement farci aux pruneaux ? Etes-vous plus Beckham chez H&M ou Lagerfeld au PSG ? Peut-on rire de tout et pas seulement des concubines d’ex sélectionneur touchant à la fois le fonds de la misère intellectuelle et des bassins où des lobotomisés notoires issus des plateaux de télé-réalité s’éclatent la cellulite et les joyeuses sous les yeux envieux de millions de téléspectateurs et tatrices également atrophiés du bulbe mais anonymes ? Bel hommage de TF1 à son concurrent du vendredi soir, Georges Pernoud, qui a le mérite de s’y connaître en QI d’huître depuis bientôt quarante ans qu’il les observe. Le Lay rêvait de vendre à une célèbre marque de soda du temps de cerveau disponible. Objectif partiellement atteint. Plouf mais sans les bulles.  Bande d’incapables !