Je suis un enfant du derby. Attention, pas de quoi
se la péter, lecteur. Nous sommes des milliers. Depuis des générations. Stéphanois
ou lyonnais. Maintenant quand tu nais à quelques encablures de Gerland, forcément,
tu n’as pas le choix. Ou alors t’en foutre, et dans ce cas, salut vieux, merci
d’éteindre ton ordi’ avant de sortir. Bon. Tu es là ? Je poursuis. Semaine
dernière, le lion a une fois de plus terrassé la panthère. Vingt piges que le
chaudron n’a pas chaviré de bonheur dans les travées enfiévrées de ses vertes
tribunes. Oh note bien que je n’en retire aucune gloriole. Hormis peut-être à
la machine à café le lundi matin. Heure du débriefing sportif ou politique où
il n’est pas rare que je rêve d’énucléer certains à la touillette vengeresse. Ce
lundi, bien maigre triomphe. D’autant plus que par le passé, cela ne fût pas
toujours le cas. A la lecture des statistiques étalées sur quelques décennies,
chaque club navigue au gré de résultats et de recrutements plus ou moins fastes
en tentant d’éviter de sombrer lors des deux écueils que
constituent ces icebergs saisonniers : les matchs aller et retour du fameux
derby en question. Mais qui te feront quand même accomplir chaque été le même
rituel. Le nez penché au dessus du calendrier France Footeux, toi le Indiana
Jones rhônalpin, le doigt explorateur et fébrile à la recherche des deux seules
dates qui comptent. Alors où je veux en venir aujourd’hui, lecteur ? Et
bien là. Ni nostalgie béate, ni rancœur féroce. Simple constat même pas amiable
du climat délétère que cette rivalité footballistique véhicule depuis pas mal d’années
déjà.
Pour mieux t’expliquer le fond de ma pensée, je vais
évoquer un symbole de cet antagonisme du ballon rond. Laurent Fournier. Un gone
pur jus. Formé au club où il connaîtra joies de l’élite et désillusions de la
deuxième division, le purgatoire de l’époque. Gloire lui soit rendue par ce
modeste billet lui qui, un dimanche après midi hivernal de 1985, a réduit mon supplice
à la caféine post week-end en inscrivant un but à l’ultime minute d’une mémorable
correction administrée en deux temps trois mouvements soit cinq buts, le compte
est bon. Trois ans plus tard, des plus bad que gones m’annonçaient qu’il « passait
à l’ennemi ». Vocable guerrier de merde. Rien d’anormal non plus quand tes
petits chefs s’enorgueillissent du titre de capo. Dieu, si tu es encore en
ligne et sinon rebranches ta box, pourquoi les avoir faits si cons ? Bref.
J’étais également présent le jour du retour du fils prodigue à Gerland (pas
Jésus, hein, faut suivre mon gars, je parlais de Fournier). Hué par une poignée
de décérébrés mais chaleureusement ovationné par une majorité du public debout.
Pas de devoir de mémoire sportive, hein ! Non juste une simple question de
respect envers celui dont l’abnégation sans faille a embelli les couleurs sportives
de sa ville. Mais je te parle d’un temps……où les chants aznavouriens formaient
déjà le répertoire des abrutis de service. N’en déplaise aux bas du Front,
encourager son équipe soit, mais de là à insulter l’adversaire, t’avoueras….
Puis il s’en est allé voir du pays. St Etienne, Marseille,
Paris, Bordeaux, etc. Certains ont déblatéré qu’il rejoignait le clan des
mercenaires. L’appât du gain. Je parlerais plus naturellement de parcours de
joueur libre. Et puis l’un n’empêche pas l’autre. Le sport n’est pas la guerre.
Quand tu donnes le meilleur de toi-même partout où tu passes, je ne vois pas en
quoi tu es un « traître ». Mercenaire, traître, termes encore bien
bellicistes, t’as noté lecteur ? D’autant plus quand les clubs quémandeurs
de tes bons et loyaux services figurent en haut de l’affiche hexagonale du
moment. Sois fier, mon Lolo. Tu as bien mérité ta carrière. Tout ça pour en
revenir à cette animosité qui s’installe un peu plus chaque saison. La dérision
des banderoles, le chambrage bon enfant disparaissent devant les actes
barbares. Un ligérien tabassé par deux lyonnais à la sortie de son boulot. Les
rendez-vous sur les aires d’autoroute, dans les parkings souterrains.
Hooliganisme national. Fierté régionale. Verts de rage, rouges de honte. Restent
mes bleus à l’âme. Et maintenant l’interdiction des déplacements de supporters.
Pas prêt d’aller partager un bout de gradin coude à coude avec mes potes stéphanois.
Manquerait plus qu’ils me sucrent la machine à caoua du lundi matin. Au secours.