mercredi 30 octobre 2013

L'école de la vie

Tchoc. Tchoc tchoc. Le sac de frappe en face de moi qui se balance au bout de sa chaîne. Accroches toi lascar. Cette putain de sueur qui vient me brûler les yeux. Tchoc. Tchoc tchoc. Jeudi. Jour d’entraînement. Travail au sac. « Toujours respecter le travail gamin ! Le noble art, ça te parle ?» me surine Riquet, le proprio de la salle. Une épée en son temps, M. Henri. Un championnat d’Europe disputé puis la descente aux enfers. La vilaine blessure. Le combat de trop. Décollement de rétine. Un classique. Fin de carrière en honorable sparring-partner de quelques pointures. Mais il lui reste ça à M. Henri, son regard vif. Roublard jugeaient ses adversaires d’un soir. En témoigne le portrait années 70 accroché au mur du petit bungalow qui surplombe le vieux gymnase. Cadeau des studios Harcourt. Avec en dessous la devise du club : exigence, vaillance, élégance. Allez bouge toi, grand. Tourne. Plus vite. Apprendre à utiliser le ring dixit Marco. Direct et crochet. Tchoc tchoc. La « une-deux ». Puis relever les gants tout de suite. Monter les mains est la première règle que j’ai apprise. Ne pas rester à découvert. Jamais. En mouvement. Toujours. Descendre à gauche, à droite mais haut et bas également. Pas laisser le temps au tocard d’en face de te travailler par en dessous. La science du combat ne s’improvise pas. Esquiver et toucher. Comme un pur styliste. Encore du pain sur la planche.

La cloche. Pause de trois minutes. Le moral dans les chaussettes. Le métronome de cuir finit son mouvement de balancier. Je le bloque à l’aide de mes avants bras meurtris par l’effort. Autant fourbu que le gars à la dérive qui s’accroche à son adversaire pour l’empêcher de cogner. Marco me gueule dessus. Le championnat est pas loin et je suis à la ramasse ce soir. Pas de jambes, pas de souffle. Flagrant manque de caisse. « Impossible de tricher, mon gone, c’est ce qui fait la beauté de la boxe ! persifle Riquet. Ne crois jamais les cons qui te parlent de sport de bourrins. Y’a pas plus complet. D’abord le physique, gamin. Force, vitesse, souplesse, endurance, équilibre. Mais la psychologie avant tout garçon,  sans quoi t’es juste un bon à rien. Esprit tactique et d’adaptation, maîtrise de soi, sens de l’observation, tu sais la fameuse vista employée à tort et à travers. Et puis l’esquive, l’anticipation, et enfin l’atout capital, le RYTHME. Comme pour la musique ! T’es un danseur mec ! Un putain de danseur ! Rappelle moi Ali, bordel ! » J’écoute. Je récupère. Je fixe Marco, l’œil noir. C’est celui qui m’a tout appris. Mon canif suisse à moi. Le tout en un. Soigneur, coach, homme de coin, parfois confident. Le seul de qui j’accepte tout sans rebeller. Même mon paternel n’a jamais su.


Nouvel exercice. Toujours bosser ses gammes. Les différents pas. Le pas de diagonale propice à un nouvel angle d’attaque, le classique pas chassé. Et ma spéciale : le P2R. Un pas-de-retrait pour l’esquive avant d’enchaîner sur un pas-de-retour pour repartir à l’assaut de plus belle. Ca va mieux, Marco m’encourage. Je passe au punching-ball. Les mains au repos. Travail statique, les pieds collés au sol avec juste les ondulations du buste. Pour ne pas rester dans l’axe. Le mouvement, encore et toujours. Spécialité incontestée d’une des idoles de toujours de Marco : Sugar Ray Leonard. Pour terminer, analyse du jeu de ma future proie. Marco l’a supervisée plusieurs fois. Un gaucher. Dans le jargon, une fausse-patte. Ou fausse-garde si tu préfères. Bon jabbeur en plus. La totale. « La grosse lacune, me rassure Marco, son jeu de jambes. Digne d’un cul de jatte qui s’inscrirait sur 110 m haies ! ». Du Marco dans le texte.  A moi de jouer avec mes atouts. Bon encaisseur, attentiste, renard dans l’âme. Ne pas se faire cueillir à froid, laisser passer l’orage et rentrer dans le lard. Par prudence, le laisser au maximum à distance. Jouer avec mon allonge. Et dès que possible chercher l’ouverture, trouer sa garde, riposter. Fin du round. Vestiaire. Douche rapide. Sac sur l’épaule. Marco ferme derrière moi en sifflotant Battling Joe. J’enchaîne avec les premières notes de Quatre boules de cuir. Notre gimmick de fin de séance. Demain, il faudra remettre ça. Du cœur à l’ouvrage. J’apprends encore. Toujours. Mon école de la vie.

mercredi 2 octobre 2013

J'ai mal au monde

Nous évoluons, paraît-il, dans une société où le « vintage » est à la mode. Pas faux. Je m’en rends compte un peu plus chaque jour. Un exemple ? Ok. La bonne vieille pétition pro peine de mort. Je ne te cause pas de celle des nostalgiques des bois de justice à lame affûtée, scribouillée à la va-vite sur des tréteaux en fin de vie lors du marché dominical de la mamie à cabas sur roulettes mal graissées. Non, le vintage a ses limites. Maintenant tout se fait via les réseaux sociaux. Tu parles d’un social ! Une chance pour nos oreilles à défaut de nos yeux. Car je perçois nettement moins les couinements mêlés des ménagères récalcitrantes et de leurs caddies depuis qu’elles errent sur le web et se lâchent derrière leur écran domestique. Vive le progrès ! Quand la pointe rageuse du stylo Bic (pardonnez moi les venimeuses rombières, je sais que vous ne les supportez pas mais on ne va quand même pas rebaptiser cette marque du simple fait de votre  « arabophobie ») est mise au rebus au profit du clavier qui recrache tout haut ce que nous serions sensés penser tout bas. Dixit ces mêmes réseaux. Merci Facebook pour l’inconditionnel soutien apporté au bijoutier féru de ball-trap sur scootériste. Merci Twitter de justifier le geste d’un meurtrier et d’enterrer définitivement le peu de scrupules qu’il lui restait. Peut-être son ultime zeste d’humanité. Et tout ce beau monde de gagner la rue pour un apéro géant entre électeurs, de gauche, de droite jusqu’à l’extrême. Bras d’ssus, bras d’ssous, main dans la main, bientôt autant de têtes de noeuds dans le fondement… de ta République. La mode, vous dis-je.

Se faire justice. Quand la vengeance immédiate se gausse du reste sous couvert de légitime défense. Légitime défonce à coups de vendanges tardives, ouais ! Mettons que le tireur ne soit pas encarté chez « Honneur & Loi du Talion », le club de tir réservé aux parkinsoniens azuréens. Plein d’assurance suite à son carton à la dernière fête de l’école, il dégomme le pneu arrière du scooter qui fait une embardée et tue malencontreusement un gamin qui passait par là. Tu es le père du gosse. Tu butes le Josh Randall à gourmette - s’cusez mais j’ai jamais pu saquer les proprios de breloques au poignet - et dans la foulée, tu achèves d’une balle dans la nuque le pilote du deux roues, parce que merde, t’as un peu les nerfs quand même, ton môme quoi ! Dame Justice baisée à même le macadam par l’émotif, la soif de représailles, l’aliénation télévisée du fait divers, etc. Come back de l’homme de Neandertal. Toi le lecteur croyant rarement pratiquant, tu vois bien que l’Homme n’a rien retenu depuis plus de deux mille piges. Depuis cette conne d’Eve, qui à l’instar de n’importe quelle mamie gâteau aurait mieux fait de préparer de la compote que de croquer dans le fruit défendu, pour parvenir jusqu’à notre Charles Bronson joaillier apprenti dézingueur. Du plomb dans la cervelle ? Au propre sûrement mais pas au figuré.

J’ai mal au monde, lecteur. Y’a un médecin qui me lit ? Que va faire ton môme ? Descendre en marche du train de la honte quotidienne ? Ou bien marchand d’armes de proximité ? Modérateur hyper conciliant pour appels à la haine vindicative sur le net ? Jobs d’avenir ! A ce rythme, dessouder du fainéant de chômeur longue durée, du sdf trop voyant en bas de ton logis, voire simplement du motard garé abusivement sur ton trottoir deviendront épreuves inscrites aux Jeux 2028. Toujours plus vite, plus haut, plus fort dans l’ignominie. D’ici là, la chasse aux Roms comme terrain d’entraînement. Avec le soutien indéfectible de Régis C., maire de son état. Merde de son état. De dérapage en dérapage, on glisse. Jusqu’à quand ? On tombe toujours plus bas. Jusqu’où ? Je blanchis cet écran noir et puis je m’aperçois que je voulais te causer d’autre chose encore. Qui obsède nos média et donc par ricochet notre ménagère scélératicide. Le retour de Bertrand Cantat. Droit dans le soleil. Devant la cohorte de procureurs en herbe, marche à l’ombre me semblerait plus approprié. Les grandes douleurs sont muettes ? Respect à vous, Jean Louis Trintignant. Chut.