Je suis un tueur en
série. Fonction dont je m’enorgueillis. Car je ne suis pas n’importe lequel.
Sûrement l’un des plus redoutables encore en activité. Mes chasseurs vous le
confirmeront. Depuis qu’ils m’ont identifié, mes statistiques sont édifiantes.
Trente millions de victimes… Qui dit mieux ? Comme si d’un coup d’un seul,
d’une croix rouge comme ce petit ruban que j’abhorre, on biffait le Pérou des
planisphères scolaires. Quand je vous aurai dit que mon carnet de contrats
stipule environ autant de cibles potentielles, votre sourire béat se
transformera en rictus défaitiste. Ces dernières années, rien que dans votre
cher Hexagone, plus de seize personnes par jour découvrent amèrement les
premiers symptômes de la peur que je distille depuis déjà trois décennies. Sans
parler des insouciants présumant ne pas avoir croisé ma route et qui pourtant
ne sont que des pantins dans ma dextre vénéneuse. Cinquante mille au bas mot.
L’équivalent du Grand Stade de Lille plein à craquer. Si ce n’est qu’ils sont
lâchés dans la nature. Pour mon plus grand plaisir. L’image du stade n’est pas
anodine. Je me souviens de l’intervention sur un plateau télé de ce borgne à la
langue bien pendue et au front national qui souhaitait que mes proies soient
mises en cage. Contaminé lui aussi mais par une bonne copine. Notre divinité à
tous, nous les virus. Car éternelle : la Connerie.
Toutefois, je cours
toujours. La traque continue. J’échappe encore à mes poursuivants. Certes, ils
gagnent du terrain depuis le début des années 80. Mes souffre-douleur profitent
de ma présence plus longtemps grâce à eux. Je sais. J’ai redoublé à l’école du
cynisme. Mais je n’ai pas toutes les tares. Sous vos latitudes de racisme,
d’homophobie, et de non parité sociologique, nul ne peut me reprocher ces maux
qui hantent vos sociétés. Je frappe chez tout le monde, sans distinction.
Contrairement aux idées répandues de-ci de-là. Même dans les familles
bourgeoises qui, avant d’être confrontées à ma personne, pensaient que je
réservais mon venin à l’encontre des bas fonds de l’humanité, des drogués ou des
homosexuels voire des deux. Raté. Même si ils préfèrent encore étouffer mon patronyme
et le troquer par des maladies plus émotionnellement et politiquement correctes
auprès de leurs amis et relations. La leucémie au secours des salonnards
pleurnicheurs. Quant au bon peuple élevé à la téléréalité et aux horoscopes de
la presse people, je ne remercierai jamais assez la plus connue des astrologues
de comptoir qui annonce périodiquement depuis deux décennies que je serai
éradiqué dans l’année qui suit. Ma publicité gratuite. Sais-tu que tes plus
vils pourfendeurs souhaiteraient que je me penche sur ton sort, Germaine ?
Mais fi de tout cela. Il
est temps de fuir. J’aperçois le pirate au loin. Qui déambule solitaire, les
poings serrés dans ses poches et le col de son cuir relevé pour éviter le
crachin digne de postillons d’une colère céleste. Ma trentième bougie semble le
morfondre dans de sombres pensées. Peut-être est-il en train de fredonner un
air de Miles Davis me souhaitant implicitement l’ascenseur pour l’échafaud. De
me faire un sourire kabyle à l’aide d’une lame de couteau tranchante comme le
verbe et le profil d’un Mano Solo. Probablement perçoit-il la voix de son oncle
disparu par ma faute vingt ans plus tôt ou simplement le sang coulant dans ses
veines, tout aussi noir et insidieux que la pluie dans les rues de Philadelphie
chantées par Springsteen. Basta. Je vous dis au revoir. Si d’aventure…