mercredi 22 mai 2013

Si d'aventure...


Je suis un tueur en série. Fonction dont je m’enorgueillis. Car je ne suis pas n’importe lequel. Sûrement l’un des plus redoutables encore en activité. Mes chasseurs vous le confirmeront. Depuis qu’ils m’ont identifié, mes statistiques sont édifiantes. Trente millions de victimes… Qui dit mieux ? Comme si d’un coup d’un seul, d’une croix rouge comme ce petit ruban que j’abhorre, on biffait le Pérou des planisphères scolaires. Quand je vous aurai dit que mon carnet de contrats stipule environ autant de cibles potentielles, votre sourire béat se transformera en rictus défaitiste. Ces dernières années, rien que dans votre cher Hexagone, plus de seize personnes par jour découvrent amèrement les premiers symptômes de la peur que je distille depuis déjà trois décennies. Sans parler des insouciants présumant ne pas avoir croisé ma route et qui pourtant ne sont que des pantins dans ma dextre vénéneuse. Cinquante mille au bas mot. L’équivalent du Grand Stade de Lille plein à craquer. Si ce n’est qu’ils sont lâchés dans la nature. Pour mon plus grand plaisir. L’image du stade n’est pas anodine. Je me souviens de l’intervention sur un plateau télé de ce borgne à la langue bien pendue et au front national qui souhaitait que mes proies soient mises en cage. Contaminé lui aussi mais par une bonne copine. Notre divinité à tous, nous les virus. Car éternelle : la Connerie.

Toutefois, je cours toujours. La traque continue. J’échappe encore à mes poursuivants. Certes, ils gagnent du terrain depuis le début des années 80. Mes souffre-douleur profitent de ma présence plus longtemps grâce à eux. Je sais. J’ai redoublé à l’école du cynisme. Mais je n’ai pas toutes les tares. Sous vos latitudes de racisme, d’homophobie, et de non parité sociologique, nul ne peut me reprocher ces maux qui hantent vos sociétés. Je frappe chez tout le monde, sans distinction. Contrairement aux idées répandues de-ci de-là. Même dans les familles bourgeoises qui, avant d’être confrontées à ma personne, pensaient que je réservais mon venin à l’encontre des bas fonds de l’humanité, des drogués ou des homosexuels voire des deux. Raté. Même si ils préfèrent encore étouffer mon patronyme et le troquer par des maladies plus émotionnellement et politiquement correctes auprès de leurs amis et relations. La leucémie au secours des salonnards pleurnicheurs. Quant au bon peuple élevé à la téléréalité et aux horoscopes de la presse people, je ne remercierai jamais assez la plus connue des astrologues de comptoir qui annonce périodiquement depuis deux décennies que je serai éradiqué dans l’année qui suit. Ma publicité gratuite. Sais-tu que tes plus vils pourfendeurs souhaiteraient que je me penche sur ton sort, Germaine ?

Mais fi de tout cela.  Il est temps de fuir. J’aperçois le pirate au loin. Qui déambule solitaire, les poings serrés dans ses poches et le col de son cuir relevé pour éviter le crachin digne de postillons d’une colère céleste. Ma trentième bougie semble le morfondre dans de sombres pensées. Peut-être est-il en train de fredonner un air de Miles Davis me souhaitant implicitement l’ascenseur pour l’échafaud. De me faire un sourire kabyle à l’aide d’une lame de couteau tranchante comme le verbe et le profil d’un Mano Solo. Probablement perçoit-il la voix de son oncle disparu par ma faute vingt ans plus tôt ou simplement le sang coulant dans ses veines, tout aussi noir et insidieux que la pluie dans les rues de Philadelphie chantées par Springsteen. Basta. Je vous dis au revoir. Si d’aventure…

mercredi 15 mai 2013

Troisième génération

Mon blase, c’est Lakhdar. Je suis le dernier fils de Slimane et Leila. Troisième génération à crécher à La Courneuve. Dix sept piges au compteur. Encore mineur. Un BEP Logistique in my pocket. Ca ne change rien sur mon CV. Option Caillera comme ils dégoisent. Wesh-wesh en galère. Et pourquoi pas chef de gang, bande de narvalos ? A se taper des barres de rire. Après tout, je ne suis pas un looser, je ne me suis jamais fait alpaguer. Même si je collectionne les gardav’ comme mon dabe les tatouages. Que je n’ai pas intérêt à mettre les pinceaux en zonzon, qu’il me bave souvent. L’a raison le daron, encore que… Entre la cage d’escalier et la cage tout court…

Je me suis inscrit sur Meetic pour me trouver une gadji sympa. Une michto pas trop relou. Pour assurer les fins de mois où je croque trop. Une couverture, pas que sociale. Ma carte Vitale multi fonctions à moi. Parce que pour le taf, c’est dead. Faut pas me la faire à l’envers. Le chômedu et ses indem’, je les laisse aux crevards, aux esclaves. Aux bolos du système. Moi, c’est la galette des Rois que je kiffe, pas celle du Tiers Etat. Intérim et système D dans mon territoire occupé, j’m’en branle.

Bon, je deale bien un chouïa. Surtout conso perso. N’allez pas me poucave, les baltringues. La bicrave, la teillebou, rien de bien chantmé. Cocktail vodka Redbull et splif pour partir en live. Un renard de temps à autre mais pour le tarot, c’est ce que l’on fait de mieux. Certains jours, on monte sur Paname. Entre lascars. Emprunt de vago ou RER à l’arrache. Taper l’incruste sur les Champs. En cas de dawa, une vitrine ou deux. La sape toujours, depuis tout môme. Les soldes à prix casseurs. Puis aller aux putes juste pour reluquer. Pour se palucher le soir dans nos pieux.

Sinon, il y a bien un autre kiff. Le rap. Matos tombé du camtar. Les répètes dans la cave du yougo, le veuf du sixième. Celui qui se dit musulman le jour et sans religion fixe quand il descend ses cadavres de rakia à la nuit tombée. Quant à l’autre babtou de la MJC qui voulait nous produire… Le mytho souhaitait que l’on vire RnB. Fringues fashion, label banlieue. Les carlouches du band l’ont fumé d’une force. Ne jamais nous prendre pour des caves.

Des fois je me dis qu'à trois milles bornes de ma cité, y’ a un pays que je ne connaîtrai sûrement jamais. Que peut-être c'est mieux, peut-être c'est tant pis. Que là-bas aussi je serais étranger, que là-bas non plus je ne serais personne. Alors pour me sentir appartenir à un peuple, à une patrie, je porte de temps à autre le maillot de l’Algérie. Ca fait ièch le faf devant sa télé. Je me suis inventé des frangins, des amis qui crèvent aussi. D’ te façon, j'ai rien à gagner, rien à perdre, même pas la vie. J'aime que la mort dans cette vie d' merde. J'aime c' qu'est cassé, j’aime c' qu’est détruit. J'aime surtout tout ce qu'y vous fait peur, la douleur et la nuit.

(Adaptation libre de « Deuxième Génération » de Renaud Séchan)

mardi 7 mai 2013

L'anar...chic.


Même si il confesse regarder rarement en arrière, j’en connais un qui doit bien se marrer du côté de Monticello. Soixante dix carats, le playboy dézingueur. Autant de bougies que pour des noces de platine. Sauf que lui, c’est les disques issus du même métal qu’il envisageait. Surtout le chèque qui allait avec en fait. Parce que le flonflon des décorations, non merci. Pas le genre de la maison. Et le digne rejeton du gentleman crooner a pris le relais. Une famille d’orfèvres joailliers de père en fils. Un héritage composé de charmantes et désopilantes mélodies pour six cordes. Les chiens ne font pas des chats ? Tant mieux. Un demi-siècle de carrière et toujours la même popularité, le parigot en exil sur l’île de beauté. Quand la gouaille rencontre l’omerta. Tout un programme. Bien sûr qu’il a ses détracteurs. Nonchalant, il continue son bonhomme de chemin. Alors qu’un célèbre de ses conscrits se prostitue décennie après décennie pour paraître toujours en vogue (je ne citerai pas de nom en son absence puisqu’il arrive que l’idole déjeune), lui ne change pas. Cuir noir, lunettes fumées et cigare pour éternelle panoplie. Nul besoin d’évoquer son nom, tu l’as depuis belle lurette retapissé, perspicace lecteur. Il revient de temps à autre nous saluer. Jamais eu de plan de carrière. Un film par ci, une tournée par là et bientôt trois générations qui s’entrecroisent dans les files d’attente des salles obscures. Peu bavard, les interviews accordées se font rares. Le personnage se planque derrière un sourire narquois et des répliques caustiques. La litote verbale élevée au rang d’art. Il a tout pigé. Ronronnant au milieu de ses chats, laissant hurler les loups. Un coup de griffe sur un titre, un bon mot au détour d’une conversation puis s’en retourne se dorer la pilule sous le soleil corse. Une allure de dandy désinvolte et paresseux (dandylettante ?) qui finit au fil du temps par laisser filtrer un caractère bosseur et malgré tout attentif sur ce qui l’entoure. Les trop nombreux distributeurs d’étiquettes le cataloguent anar de droite, de sa période cynique anti yéyé à son apogée d’opportuniste césarisé de la pellicule. Bof. A l’instar de Desproges qui se définissait comme un humoriste « non pas engagé mais dégagé », l’adepte aux mille calembours fredonnés pourrait être considéré comme son alter ego musical. Mais laissons tomber les comparaisons foireuses. Quand beaucoup ne cherchent à exister qu’au travers du regard des autres, il est lui et c’est déjà pas mal. Un côté sauvage comme les félins qui l’entourent, un peu chien de par la fidélité de ses amitiés.
Quand un journaleux lui demande quand il compte stopper sa carrière, il répond : « Le jour où je chanterai que mon dentier est un cactus ». CQFD. Une ultime pirouette qu’un contorsionniste  n’aurait pas renié. Alors voilà, sur l’air de Merde in France, le pirate (à tête de maure) te souhaite un bon anniversaire (moi à boire). A tes amours (moi l’nœud, enfin ce qu’il en reste).