Le mec s’était dirigé vers moi et m’avait
demandé mon titre de transport. Je lui avais rien demandé. L’air hautain du Robocop
de banlieue content d’alpaguer un multirécidiviste des transports. Un contrôleur
de bus, merde. J’aime pas les contrôleurs de bus. Pas que je leur en veuille
personnellement, non. Chacun sa galère pour remplir sa gamelle. Je n’avais pas
de ticket. On est descendu au premier feu rouge. Pendant qu’il rédigeait son
procès verbal, il n’a pas pu s’empêcher de me faire la morale. L’erreur. Un
bavard. Il m’a tenu la jambe pendant cinq minutes. Cinq minutes de trop. Je
l’ai buté. Pas me faire chier. Je suis un impulsif. Déjà, à l’armée, ils ne
m’ont pas gardé. Déclaré ingérable. Psycho j’sais pas quoi à tendance machin
truc. En clair, à dégager. C’est un médecin gradé qui est venu m’annoncer la
nouvelle. Alors je l’ai dégradé. Mon premier. Mon plus grand souvenir. Deux
choses que je n’oublierai jamais : le regard du blaireau quand il a
compris et la mélodie de ses cervicales quand elles se sont disloquées. Pur
bonheur. De quoi créer une vocation. C’est à partir de ce jour là que je me
suis mis à bourlinguer. Recherché pour cause de dangerosité. Pas le genre
fréquentable, quoi.
Bref, j’ai tué le contrôleur. Proprement,
à l’ancienne. Pas eu le temps de voir venir. Et il s’en est allé vérifier si
son billet était compatible pour l’enfer. Le hic, parce que hic il y a, c’est
que le contrôleur avait un collègue descendu l’arrêt suivant qui, ne voyant pas
arriver son binôme, remontait dans notre direction. Et qu’il a réagi au quart de tour
quand il l’a vu s’effondrer ma victime. Il n’aurait pas dû crier en arrivant
sur moi. J’aime pas les longs discours mais encore moins les cris. Il est mort
comme un porc. Bon. Ma rencontre avec ces deux cons commençait à attirer les
curieux et il me semblait opportun de quitter les lieux. Plus de bus, pas de
métro, fallait improviser. Coup de bol, au feu, un taxi arrêté. Je me suis
engouffré juste avant le vert. Pas ce que j’ai fait de mieux. La tête du couple
de clients et du chauffeur. J’aime pas les chauffeurs de taxi. Ils parlent trop
eux aussi. Nettement moins avec la ceinture de sécurité autour du cou. Et
la mégère qui squattait la banquette arrière, effarée, la bouche ouverte sans
un son qui sort. Elle avait dû bouffer un truc qu’il ne fallait pas. Elle puait d’une
force ! J'aime pas les gens qui puent du bec. Alors en plus quand les sphincters font relâche ! Toujours est-il qu'avec son mari,
ils n'ont pas eu l'air d'apprécier ma présence. Ca m'a vexé. J'ai pris la tête
de l'un pour défoncer celle de l'autre. Tchac ! Solide, la rombière
geignait encore. J'ai dû la finir avec la lame encore chaude du sang du
contrôleur. Du travail bâclé, mais bon, cas d’urgence. Puis à ce moment précis,
deux balaises sont sortis de leurs tires parce que visiblement, on gênait la
circulation. Et eux ? Ils n’étaient pas des empêcheurs de tuer en rond
peut-être ? Ils n’ont pas aimé ma remarque. De plus, j’aime pas les
balaises. Une boutonnière à chacun. Pour les reprises, voir avec la pharmacie
la plus proche.
Avec tout ça, il se faisait tard et je
commençais à avoir les crocs. J'ai laissé les cadavres à leur lente agonie et j'ai filé
un peu au hasard en quête d'une gargotte. J'aime pas les restos. Les serveurs
posent trop de questions. Un couvert seulement ? Et pour la cuisson ?
Prendrez un dessert ? Café ou déca ? Je déteste le café. Ca
me rend nerveux. J'ai fini par dégoter une brasserie. La serveuse
avait tout pour plaire. Strabisme divergent prononcé et bégaiement en sus.
Sacré pedigree. Aurait pu s'appeler BB. Bigleuse et bègue. Mais c'est vilain
de se moquer. J'ai dégusté mon plat avant de mettre à jour mon
calepin. Ne jamais me mettre en retard au niveau du calepin ! Sinon, j'oublie.
Je comptabilisais donc mes clients de la journée. Les deux contrôleurs, le
couple du taxi, le chauffeur, les balaises. Sous total : sept. J'ai
horreur du chiffre sept. Surtout marre des trucs qui vont par
sept. Les sept nains, les sept mercenaires, les sept
péchés capitaux, les sept jours de la semaine, les sept merveilles du monde, le
septième art, le septième ciel. Des conneries. J'aime pas le sept. Ca porte la
poisse. J'aurais dû me limiter à six. Mais bon, ce qui est fait est
fait. Et la journée n’était pas finie. Comme d'habitude, j'ai profité
de ma pause casse-croûte pour nettoyer mon matos. Une lame, il faut
que ça reste propre. Question d'hygiène. La nappe était rose fadasse, je lui ai
refait une coloration. Genre ton sur ton. Puis j'ai réglé l'addition. A ma
façon. J'ai appelé BB pour lui faire remarquer qu’à la place du plat du jour,
j’aurais préféré le plat du soir. Juste histoire de plaisanter. Elle
a passé l'arme à gauche avant d'avoir compris ma blague. J'aime pas les gens
qui manquent d'humour. Pas trop content mais repu, j'ai vidé les lieux sous les
regards j'imagine admiratifs et envieux des rares clients. Faut dire
ce qui est, j'avais opéré BB à la spectaculaire. Une césarienne vite fait sur le gaz. Alors bien sûr
les beaufs avaient fait le plein des conversations à venir. J'y étais
! J'ai tout vu ! Mais je n’ai pas bougé, M’sieur le Commissaire.
Evidemment. Bande de cons. J'aime pas les cons.
Ces péripéties m'avaient quelque peu
fatigué. Je me suis assoupi à proximité dans un parking souterrain. Sous
une caméra de surveillance. Quand les flics sont venus me cueillir, ça
s'est plutôt bien passé. Ils m'ont dit comme ça qu'ils savaient que
c'était moi. J'ai confirmé que oui, en effet, c'était moi. Ils m'ont demandé
pourquoi. J'ai dit c'est comme ça. Mais encore, pourquoi
ceci, pourquoi cela. Oh les gars ! Des questions à n’en plus
finir. Du bavardage et vous savez mon amour pour ce dernier. Qui,
quand, où, comment ? Je ne sais pas, moi ! C'est comme ça. J'aime pas les
contrôleurs, j'aime pas les vieilles qui puent de la
gueule, j’aime pas les chauffeurs de taxi, les grands balaises, les
serveuses moches et tous les autres voir plus si affinités. Quoi pas « affinités »,
alors antipathie, j’ai bon là ? Moi, ce que j'aime, c'est rêver. En
cabane, je vais avoir tout le temps de rêvasser. Même si ils
m’ont confisqué mon calepin. Il va me manquer. Il y en a des choses dedans !
Le jour où j'ai fait connaissance avec un chasseur qui refusait que je
passe en vélo sur SON chemin forestier et celui où j'ai raté mon permis de
conduire. Des souvenirs inoubliables. Pour moi bien sûr mais aussi
pour eux un petit peu quand même non ? Mais je garde tout ça pour le
procès. Si ce putain de procureur ne me coupe pas la parole, bien entendu. Parce que
voilà, il faut que je vous avoue un petit truc. J'aime pas les bavards ok,
mais encore moins les malpolis.
(Adaptation d’une nouvelle d’H. Sard)