vendredi 7 mars 2014

Mortelle randonnée

Le mec s’était dirigé vers moi et m’avait demandé mon titre de transport. Je lui avais rien demandé. L’air hautain du Robocop de banlieue content d’alpaguer un multirécidiviste des transports. Un contrôleur de bus, merde. J’aime pas les contrôleurs de bus. Pas que je leur en veuille personnellement, non. Chacun sa galère pour remplir sa gamelle. Je n’avais pas de ticket. On est descendu au premier feu rouge. Pendant qu’il rédigeait son procès verbal, il n’a pas pu s’empêcher de me faire la morale. L’erreur. Un bavard. Il m’a tenu la jambe pendant cinq minutes. Cinq minutes de trop. Je l’ai buté. Pas me faire chier. Je suis un impulsif. Déjà, à l’armée, ils ne m’ont pas gardé. Déclaré ingérable. Psycho j’sais pas quoi à tendance machin truc. En clair, à dégager. C’est un médecin gradé qui est venu m’annoncer la nouvelle. Alors je l’ai dégradé. Mon premier. Mon plus grand souvenir. Deux choses que je n’oublierai jamais : le regard du blaireau quand il a compris et la mélodie de ses cervicales quand elles se sont disloquées. Pur bonheur. De quoi créer une vocation. C’est à partir de ce jour là que je me suis mis à bourlinguer. Recherché pour cause de dangerosité. Pas le genre fréquentable, quoi.

Bref, j’ai tué le contrôleur. Proprement, à l’ancienne. Pas eu le temps de voir venir. Et il s’en est allé vérifier si son billet était compatible pour l’enfer. Le hic, parce que hic il y a, c’est que le contrôleur avait un collègue descendu l’arrêt suivant qui, ne voyant pas arriver son binôme, remontait dans notre direction. Et qu’il a réagi au quart de tour quand il l’a vu s’effondrer ma victime. Il n’aurait pas dû crier en arrivant sur moi. J’aime pas les longs discours mais encore moins les cris. Il est mort comme un porc. Bon. Ma rencontre avec ces deux cons commençait à attirer les curieux et il me semblait opportun de quitter les lieux. Plus de bus, pas de métro, fallait improviser. Coup de bol, au feu, un taxi arrêté. Je me suis engouffré juste avant le vert. Pas ce que j’ai fait de mieux. La tête du couple de clients et du chauffeur. J’aime pas les chauffeurs de taxi. Ils parlent trop eux aussi. Nettement moins avec la ceinture de sécurité autour du cou. Et la mégère qui squattait la banquette arrière, effarée, la bouche ouverte sans un son qui sort. Elle avait dû bouffer un truc qu’il ne fallait pas. Elle puait d’une force ! J'aime pas les gens qui puent du bec. Alors en plus quand les sphincters font relâche ! Toujours est-il qu'avec son mari, ils n'ont pas eu l'air d'apprécier ma présence. Ca m'a vexé. J'ai pris la tête de l'un pour défoncer celle de l'autre. Tchac ! Solide, la rombière geignait encore. J'ai dû la finir avec la lame encore chaude du sang du contrôleur. Du travail bâclé, mais bon, cas d’urgence. Puis à ce moment précis, deux balaises sont sortis de leurs tires parce que visiblement, on gênait la circulation. Et eux ? Ils n’étaient pas des empêcheurs de tuer en rond peut-être ? Ils n’ont pas aimé ma remarque. De plus, j’aime pas les balaises. Une boutonnière à chacun. Pour les reprises, voir avec la pharmacie la plus proche.

Avec tout ça, il se faisait tard et je commençais à avoir les crocs. J'ai laissé les cadavres à leur lente agonie et j'ai filé un peu au hasard en quête d'une gargotte. J'aime pas les restos. Les serveurs posent trop de questions. Un couvert seulement ? Et pour la cuisson ? Prendrez un dessert ? Café ou déca ? Je déteste le café. Ca me rend nerveux. J'ai fini par dégoter une brasserie. La serveuse avait tout pour plaire. Strabisme divergent prononcé et bégaiement en sus. Sacré pedigree. Aurait pu s'appeler BB. Bigleuse et bègue. Mais c'est vilain de se moquer. J'ai dégusté mon plat avant de mettre à jour mon calepin. Ne jamais me mettre en retard au niveau du calepin ! Sinon, j'oublie. Je comptabilisais donc mes clients de la journée. Les deux contrôleurs, le couple du taxi, le chauffeur, les balaises. Sous total : sept. J'ai horreur du chiffre sept. Surtout marre des trucs qui vont par sept. Les sept nains, les sept mercenaires,  les sept péchés capitaux, les sept jours de la semaine, les sept merveilles du monde, le septième art, le septième ciel. Des conneries. J'aime pas le sept. Ca porte la poisse. J'aurais dû me limiter à six. Mais bon, ce qui est fait est fait. Et la journée n’était pas finie. Comme d'habitude, j'ai profité de ma pause casse-croûte pour nettoyer mon matos. Une lame, il faut que ça reste propre. Question d'hygiène. La nappe était rose fadasse, je lui ai refait une coloration. Genre ton sur ton. Puis j'ai réglé l'addition. A ma façon. J'ai appelé BB pour lui faire remarquer qu’à la place du plat du jour, j’aurais préféré le plat du soir. Juste histoire de plaisanter. Elle a passé l'arme à gauche avant d'avoir compris ma blague. J'aime pas les gens qui manquent d'humour. Pas trop content mais repu, j'ai vidé les lieux sous les regards j'imagine admiratifs et envieux des rares clients. Faut dire ce qui est, j'avais opéré BB à la spectaculaire. Une césarienne vite fait sur le gaz. Alors bien sûr les beaufs avaient fait le plein des conversations à venir. J'y étais ! J'ai tout vu ! Mais je n’ai pas bougé, M’sieur le Commissaire. Evidemment. Bande de cons. J'aime pas les cons.

Ces péripéties m'avaient quelque peu fatigué. Je me suis assoupi à proximité dans un parking souterrain. Sous une caméra de surveillance. Quand les flics sont venus me cueillir, ça s'est plutôt bien passé. Ils m'ont dit comme ça qu'ils savaient que c'était moi. J'ai confirmé que oui, en effet, c'était moi. Ils m'ont demandé pourquoi. J'ai dit c'est comme ça. Mais encore, pourquoi ceci, pourquoi cela. Oh les gars ! Des questions à n’en plus finir. Du bavardage et vous savez mon amour pour ce dernier. Qui, quand, où, comment ? Je ne sais pas, moi ! C'est comme ça. J'aime pas les contrôleurs, j'aime pas les vieilles qui puent de la gueule, j’aime pas les chauffeurs de taxi, les grands balaises, les serveuses moches et tous les autres voir plus si affinités. Quoi pas « affinités », alors antipathie, j’ai bon là ? Moi, ce que j'aime, c'est rêver. En cabane, je vais avoir tout le temps de rêvasser. Même si ils m’ont confisqué mon calepin. Il va me manquer. Il y en a des choses dedans ! Le jour où j'ai fait connaissance avec un chasseur qui refusait que je passe en vélo sur SON chemin forestier et celui où j'ai raté mon permis de conduire. Des souvenirs inoubliables. Pour moi bien sûr mais aussi pour eux un petit peu quand même non ? Mais je garde tout ça pour le procès. Si ce putain de procureur ne me coupe pas la parole, bien entendu. Parce que voilà, il faut que je vous avoue un petit truc. J'aime pas les bavards ok, mais encore moins les malpolis.


(Adaptation d’une nouvelle d’H. Sard)