Trente piges. Environ. Que je traîne mes pompes
dans les concerts. Une de mes drogues favorites. J’ai commencé jeune. Poussé
par le fait que les tympans parentaux étaient hermétiques aux musiques
contemporaines crachées, certes un peu fort, par les enceintes de la chaîne hi-fi
familiale. Et tout ça m’est resté. A traversé les décennies. Eternel sale
gosse. Génération Enfants du Rock. Un des rares instants où être au milieu de la foule ne me gêne pas.
Peut-on causer d’agoraphobie intermittente du spectacle, docteur ? Mais je
me soigne. Les stades ou palais des sports côtoyés naguère ont laissé place aux
scènes plus intimistes. Hormis une grosse cylindrée de temps à autre.
Probablement aussi que les artistes que je vais écouter sont moins sous les
feux de l’actualité musicale. Dernier bastion de fidèles. Mais gaffe, le style
vintage revient. Age tendre et têtes de bois. Non je déconne. Je n’ai encore
découvert aucun de « mes vieux » sur les affiches de ces
tournées. Ouf. Restons sur nos gardes. Les salles que je fréquente rajeunissent
mais je croise encore des aficionados de la première heure. On s’observe comme
des dinosaures majestueux. Fiers d’avoir assisté aux origines du groupe ou du
chanteur qui blanchit lui aussi derrière son micro. Jour J. Tout un cérémonial.
19h00 fin prêt. Deux ou trois CD dans la boîte à gant de la bagnole pour se
refaire le concert, tout seul ou en bande, à tue-tête, sur le chemin du retour
à la casbah. Vieilles baskets, paire de jeans ayant déjà ciré pas mal de sièges
de tribune et de barrières métalliques de files d’attente. Simple tee shirt
sous une antique veste de cuir noir brulée à la manche droite par un mégot tombé
d’une bouche abasourdie lors d’un solo de batterie assourdissant. Et oui,
juvénile lecteur amorphe mais sous ecsta’, je te parle d’un temps où
l’interdiction de fumer dans un lieu public clos était enfouie dans les brumes
opaques surplombant nos têtes de jeunes loups des mers. Pardon, des concerts.
20h00. Arrêt au zinc le plus proche de la
salle. Humer l’ambiance. Parfum électrique
ou pas. La pression monte ? J’en descends une. Juste quelques gorgées
d’alcool dans le calme avant la tempête de décibels. Tenter de se remémorer le
dernier live vécu tout en se promettant de ne pas laisser autant de temps avant
le prochain. Puis parqué devant l’entrée sous l’œil goguenard de la Municipale
qui se demande ce qu’elle fout là, à l’heure de la sacrosainte météo d’Evelyne
Dhéliat suivie des Experts. On ne devient pas flic, on finit flic,
audiardisais-je. Le vigile taillé en V dans sa parka fluo XXL déchire mon billet
proprement en me souhaitant un « bon concert ». Pléonasme piratesque.
Un second me fouille pour voir si je n’ai pas d’arme. Aucun risque, Sheryfa Luna
et ses fans ne seront pas présents ce soir. Je rentre dans l’arène. Au fil des
années, je recule dans la fosse aux lions. Place aux mômes. J’ai même commencé
à goûter aux tribunes. « Assis ! » me rabroue-t-on souvent quand
n’y tenant plus, je grimpe debout sur mon siège au rythme des guitares
saturées. J’obtempère ou je descends rejoindre la régie dans le fond de la
fosse. Retraité du pogo l’Tricao. Pas être ridicule non plus. Les roadies,
badge autour du cou, font les derniers réglages. Test de micro. Ultime
tintement involontaire de cymbale. Les guitares rutilent sur leur trépied. Les
impatients du premier rang commencent à siffler. Ca tape du pied dans les
gradins. Les régisseurs mettent leur casque sur les oreilles. Signe
annonciateur que le compte à rebours est définitivement lancé. Les lumières décroissent.
Mon pouls augmente. Noir presque total. Je peine à distinguer quatre frontales
guidant les musicos vers leur instrument fétiche. Tout bascule. Je ne touche
plus terre. Pluie de notes sur un junkie en apesanteur.